Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 12 - Témoignages du 28 octobre 2009
OTTAWA, le mercredi 28 octobre 2009
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce s'est réuni aujourd'hui, à 16 heures, pour examiner l'état actuel du système financier canadien et international (sujet : Rapport sur la politique monétaire de la Banque du Canada.
Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui le gouverneur de la Banque du Canada, qui comparaît généralement devant nous deux fois par année. Il vient aujourd'hui parler de la politique monétaire du Canada.
Selon le préambule de la Loi sur la Banque du Canada, le rôle de la banque consiste à réglementer ce qui suit.
[Français]
Pour contrôler le crédit et la monnaie dans l'intérêt de la vie économique de la nation, pour contrôler et protéger la valeur de la monnaie nationale sur les marchés internationaux, pour atténuer, autant que possible par l'action monétaire, les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l'emploi, et de façon générale, pour favoriser la prospérité économique et financière du Canada.
[Traduction]
Le gouverneur nous parlera aujourd'hui de la politique monétaire du pays, dans le contexte particulier où l'économie connaît une reprise, après la crise financière et économique mondiale que nous avons connue.
La dernière fois que le gouverneur Carney a comparu devant nous, le 6 mai, l'économie était toujours en récession, bien que certains signes encourageants commençaient à poindre. Aujourd'hui, la reprise se poursuit, sous l'effet, comme la banque l'indique, des mesures de stimulation financière et monétaire. Toutefois, comme le note la banque, « des vulnérabilités importantes subsistent ».
Sans plus de préambule, nous sommes heureux d'accueillir, une fois de plus, le sous-gouverneur Paul Jenkins, qui est venu témoigner plusieurs fois devant nous, et le gouverneur, Mark Carney.
Messieurs, la parole est à vous. Je crois savoir, monsieur le gouverneur, que vous avez une déclaration à présenter. Je vous cède donc la parole.
[Français]
Mark J. Carney, gouverneur, Banque du Canada : Monsieur le président, Paul Jenkins, premier sous-gouverneur et moi-même, sommes ravis de comparaître devant ce comité aujourd'hui pour discuter du point de vue de la Banque du Canada au sujet de l'économie et de l'orientation de la politique monétaire. Bien que les conditions économiques au Canada se soient améliorées depuis que nous vous avons rencontrés en mai, bon nombre de défis fondamentaux demeurent.
Avant que nous ne répondions à vos questions, permettez-moi de vous donner un aperçu de la plus récente livraison du Rapport sur la politique monétaire que la banque a publié la semaine dernière.
Les indicateurs récents font état du début d'une reprise à l'échelle du globe. L'évolution économique et financière a été un peu plus favorable que la banque ne l'entrevoyait en juillet, quoique des vulnérabilités importantes subsistent, comme le président vient de le mentionner.
Le Canada a, comme prévu, renoué avec la croissance économique après avoir connu trois trimestres de suite de fortes contractions. Cette reprise est soutenue par la détente monétaire et budgétaire, l'augmentation de la richesse des ménages, l'amélioration des conditions financières, le renchérissement des produits de base et le regain de confiance de la part des entreprises et des consommateurs. Toutefois, la volatilité accrue et la vigueur persistante du dollar canadien ont pour effet de ralentir la croissance et de contenir les pressions inflationnistes.
La banque estime qu'avec le temps, la force actuelle du dollar viendra plus que contrebalancer les effets de l'évolution positive observée depuis juillet. À la lumière de tous ces facteurs, la banque s'attend à présent à ce que, comparativement à ce qui était escompté dans le rapport de juillet, la composition de la demande globale continue à se modifier, la demande intérieure gagnant en importance au détriment des exportations nettes.
[Traduction]
Nous prévoyons maintenant que le taux de croissance sera légèrement inférieur en moyenne durant le reste de la période de projection. La banque estime que l'économie canadienne se sera contractée de 2,4 p. 100 cette année, pour ensuite progresser de 3 p. 100 en 2010 et de 3,3 p. 100 en 2011. Selon ces prévisions, cette reprise sera un peu plus modeste que celle observée en moyenne lors des cycles précédents.
L'inflation mesurée par l'IPC global a reculé pour toucher un creux de - 0,9 p. 100 au troisième trimestre, ce qui s'explique par l'importante baisse en glissement annuel des prix de l'énergie. L'inflation mesurée par l'IPC global devrait grimper à 1,0 p. 100 au cours du présent trimestre, alors que l'inflation mesurée par l'indice de référence devrait toucher un creux de 1,4 p. 100 durant la même période.
En raison de l'offre excédentaire substantielle qui est apparue au sein de l'économie, la banque s'attend à ce que l'inflation mesurée tant par l'indice de référence que par l'IPC global regagne la cible de 2 p. 100 au troisième trimestre de 2011, soit un trimestre plus tard qu'elle ne l'entrevoyait en juillet.
Les principaux risques à la hausse concernant l'inflation ont trait à la possibilité que le redressement de l'économie mondiale soit plus vif qu'escompté et que la demande intérieure au Canada soit plus robuste.
Parmi les risques à la baisse, la reprise mondiale pourrait être encore plus lente qu'anticipée. En outre, une vigueur du dollar canadien supérieure au niveau postulé induite par un remaniement des portefeuilles à l'échelle mondiale au détriment des titres libellés en dollars américains, pourrait exercer un nouvel effet modérateur considérable sur la croissance ainsi que des pressions à la baisse supplémentaires sur l'inflation.
Le mardi 20 octobre, la banque a réitéré son engagement conditionnel à maintenir le taux cible du financement à un jour à ce nouveau plancher de un quart de 1 p. 100 jusqu'à la fin de juin 2010 afin que la cible d'inflation puisse être atteinte.
La banque conserve une flexibilité considérable dans la conduite de la politique monétaire en contexte de bas taux d'intérêt, conformément aux cadres exposés dans le Rapport sur la politique monétaire d'avril, dont nous avons parlé devant ce comité, en mai dernier.
L'un des objectifs que vise notre politique monétaire est d'atteindre la cible d'inflation de 2 p. 100. Le taux de change doit être envisagé dans ce contexte. Il s'agit d'un important prix relatif dont la banque suit l'évolution de près.
Ce qui importe en définitives, c'est l'incidence du taux de change conjuguée à tous les autres facteurs d'origine interne et externe sur la demande globale et l'inflation au Canada. Autrement dit, la banque examine tout à travers le prisme de l'atteinte de la cible d'inflation.
M. Jenkins et moi serons maintenant heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le gouverneur.
J'ai une longue liste de personnes qui ont des questions à poser. Je profiterai toutefois de ma position de président pour lancer la discussion.
Monsieur le gouverneur, vous avez passé le plus clair des deux dernières années à vous occuper d'abord des répercussions de la crise qui a frappé le marché des prêts à risque en 2007 puis de la crise financière de 2008-2009. Je dois dire que vous et M. Jenkins ainsi que vos collègues à la banque l'ont fait, du moins dans mon esprit, de façon admirable. Je suis particulièrement impressionné de voir que lorsque le gouverneur parle, les marchés — à tout le moins, les marchés des changes étrangers — semblent écouter. Après avoir vérifié avant de venir ici aujourd'hui, le dollar était en baisse, à 92,64 cents. Lorsque vous avez pour la première fois abordé cette question il y a moins d'une semaine, le cours du dollar approchait les 98 cents. De toute évidence, le gouverneur est une personne influente, et nous vous en félicitons.
Du point de vue de la banque, quelles leçons pouvons-nous tirer des événements des deux dernières années aussi bien dans une optique de prévention que du point de vue de la façon dont les gouvernements et les banques centrales peuvent le mieux réagir? Maintenant que la banque a reçu des pouvoirs additionnels en 2008, estimez-vous disposer des outils nécessaires pour exercer un rôle de leadership si jamais nous devions entrer dans une nouvelle crise financière mondiale? Seriez-vous à l'aise si, comme l'a recommandé l'un de vos prédécesseurs, on confiait à la banque un véritable rôle de surveillance et d'enquête en ce qui concerne les grandes questions de stabilité financière?
M. Carney : De combien de temps disposons-nous pour discuter de cela aujourd'hui?
Le président : Mes collègues seront sans doute mécontents, si vous prenez trop de temps.
M. Carney : Je dirai un mot sur ces questions et par la suite, nous pourrons entrer un peu plus dans les détails.
Pour ce qui est des principales leçons que la crise nous a enseignées en matière de prévention, je ne commencerai par parler des leçons micro-économiques, ou des leçons spécifiques en matière de réglementation de l'industrie que nous pouvons tirer de cette expérience récente.
En premier lieu et surtout, il est clair que le système, dans son ensemble, n'est pas assez capitalisé. L'une des raisons pour lesquelles le système canadien a si bien répondu et affronté la tempête aussi bien qu'il l'a fait, tient au fait que nos principales institutions étaient convenablement capitalisées, même face à un choc aussi grave que celui que nous avons vécu. Par contre, à l'échelle mondiale, le système n'était pas suffisamment capitalisé.
Le deuxième élément, et celui-ci est bien connu, réside dans le fait que beaucoup de grands marchés qui s'étaient constitués au fil du temps, n'étaient pas suffisamment transparents. Dès qu'ils ont été mis à l'épreuve, il est devenu très difficile pour de nouveaux investisseurs d'entrer dans ces marchés et d'acquérir ce qui aurait pu sembler être des éléments d'actif dont le prix était attrayant. Les marchés, qui par nature ont tendance à s'équilibrer d'eux-mêmes, n'ont pas pu le faire en raison d'un manque de transparence.
Il est toutefois une leçon plus profonde que nous avons apprise, et celle-ci constitue une priorité pour la banque, à savoir qu'un bon nombre de grands marchés financiers n'ont pas la solidité voulue pour résister à un choc brutal. En rétrospective, c'est ce que nous avons observé de façon particulière à l'extérieur du Canada. Pour l'avenir, cela vaut également pour le Canada. Et qu'entendons-nous par là?
Les marchés pour le financement de base, notamment le marché des rachats, le marché des reprises et les marchés de prêts de valeurs mobilières, fonctionnent principalement sur une base bilatérale, et hors bourse. Tout au long de la crise, nous avons pu voir que des institutions essentielles, y compris certaines qui ne semblaient pas nécessairement être « essentielles » avant qu'elles ne sombrent, ont été qualifiées de systémiques, en raison de l'incertitude que la disparition de ces relations bilatérales a engendrée pour d'autres institutions.
Je citerai en premier lieu l'exemple de Bear Stearns. Cette firme était la sixième banque d'investissement en importance aux États-Unis. Il ne s'agissait pas de la plus importante banque d'investissement, et encore moins de la plus importante aux États-Unis, mais elle était un joueur important dans le marché des reprises. Les autorités américaines ont jugé que les incertitudes qui auraient engendrées par sa déconfiture auraient produit de graves effets de contagion pour d'autres institutions.
Des solutions existent à ce genre de problèmes. Nous pouvons réorganiser le fonctionnement de ces marchés de base. Nous pourrions par exemple constituer des chambres de compensation centrales, pour réorganiser ces relations. C'est d'ailleurs une chose à laquelle la banque a beaucoup travaillé à l'interne. Nous collaborons avec l'industrie canadienne en vue de déterminer si cette solution serait viable dans l'avenir, pour le Canada.
L'une des leçons apprises réside en fait dans la façon dont les marchés de base ont été organisés. L'autre marché de base que je tiens à signaler — et nous pourrons y revenir si les membres le souhaitent — est celui des marchés hors bourse des instruments dérivés, marché dont l'ampleur se mesure en dizaine de billions de dollars. Ces marchés comportent des risques importants auxquels les organismes de réglementation comprennent peu de chose, que les autres institutions ne comprennent guère mieux, et incluent une poignée d'institutions mondiales en leur cœur, qui sont systémiques, de ce fait. Voilà une bien mauvaise façon d'organiser le système. Il faudra du temps pour le réorganiser, mais il est impératif de le faire afin de prévenir ce genre de spirale des liquidités insuffisantes qui, comme nous l'avons vu, a été au cœur de la crise.
Tels sont les éléments microéconomiques, ou du moins s'agit-il là de certains des éléments microéconomiques. Je ne les ai toutefois pas tous abordés ici. Nous aimerions ajouter cependant, comme M. Jenkins et mon prédécesseur l'ont constamment signalé devant ce comité au fil des années, que les déséquilibres au niveau de la macro-épargne parmi les grandes économies ont constitué un risque réel pour l'économie mondiale, et ces déséquilibres ont contribué aux événements qui se sont produits. Il s'agit des importants déséquilibres dans les comptes courants entre les grandes économies et ce sont certaines des distorsions qui en ont résulté dans les marchés des taux d'intérêt et les marchés des devises étrangères, qui ont contribué à accroître la pression dans le système. A posteriori, on peut voir plus aisément les liens entre ces éléments, en raison d'autres échecs microéconomiques qui sont évidents.
C'est de cet élément que je parlerai donc en premier lieu. Je dirai que l'initiative du ministre des Finances et que la diligence avec laquelle la Chambre des communes et le Sénat ont su moderniser les pouvoirs de la Banque du Canada au moment opportun se sont révélées utiles. C'est pour cette raison que lorsque la crise s'est réellement intensifiée à l'automne 2008, nous avons été en mesure d'élargir nos facilités de liquidités rapidement de façon à protéger notre système, sans imposer un risque financier additionnel aux contribuables du Canada.
Nous avons pu le faire d'une manière qui a eu un effet apaisant important sur le marché canadien et aidé à éviter d'autres répercussions qui auraient pu se faire sentir au Canada. Évidemment, nous avons subi des contrecoups importants de la crise financière et de la récession mondiale que nous venions tout juste de traverser.
Paul Jenkins, premier sous-gouverneur, Banque du Canada : J'aimerais parler brièvement du marché hypothécaire. Monsieur le président, vous avez fait référence au marché des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis. Ici encore, nous devons tenir compte des différences structurelles qui existent entre notre marché hypothécaire et celui des États- Unis. Au Canada, nous sommes tenus de prendre une assurance-hypothèque lorsque le coefficient du prêt en fonction de la valeur se situe au-delà de 80 p. 100. Nous disposons de règlements concernant l'amortissement des ratios prêt- valeur. Ce sont là des aspects que nous ne devons pas perdre de vue, car ils sont importants pour le bon fonctionnement du marché hypothécaire au Canada. Ces caractéristiques de notre marché ont profité de façon certaine à l'économie canadienne, comparativement à ce qui s'est passé au sud de notre frontière.
Le sénateur Greene : Tous les Canadiens se demandent, chaque jour, au lever du lit, quelle sera la valeur du dollar. Nos exportateurs s'inquiètent lorsque le dollar monte et, beaucoup de Canadiens aiment bien, au contraire, voir leur pouvoir d'achat s'améliorer face aux produits importés lorsque le dollar monte.
Selon vous, existe-t-il un taux idéal ou du moins une gamme de taux qui serait avantageuse pour tous les Canadiens?
Depuis mars environ, le dollar américain a vu son cours baisser face au dollar canadien, beaucoup plus qu'il ne l'a fait face au yen, à la livre ou à l'euro. Qu'est-ce que cela indique?
M. Carney : La réponse à votre première question est non. La banque ne cible pas un taux particulier pour le dollar. Nous ciblons l'inflation. Comme vous le savez fort bien, notre mandat est clair, à savoir une cible d'inflation de 2 p. 100 de l'IPC. Le cours de la monnaie et ses fluctuations sont importants. Nous en tenons compte. Nous en surveillons étroitement l'évolution, mais nous en tenons compte en même temps que nous tenons compte d'autres facteurs, comme je l'ai dit dans ma déclaration d'ouverture. Les facteurs que nous prenons en compte sont à la fois externes et internes, et il s'agit notamment des échanges commerciaux, des prévisions de croissance aux États-Unis, de la croissance mondiale, du marché immobilier au Canada, des autres sources de demandes au pays, et de la politique financière. Nous examinons tous ces facteurs d'un œil éclairé, afin de mesurer leur incidence prévisible sur l'inflation, et par la suite, nous définissons la politique monétaire en conséquence.
Nous regardons aussi le dollar chaque matin lorsque nous nous réveillons, comme les autres Canadiens, mais nous n'avons pas de niveau précis en tête. La seule chose que nous savons tous, c'est que les perspectives changent. Tous ces facteurs évolueront et ont évolué depuis juillet.
Un grand nombre de ces facteurs ont évolué de façon positive depuis juillet. Nous sommes d'avis — comme nous l'avons indiqué dans notre rapport — que la force continuelle du dollar canadien contrebalançait ces facteurs positifs par rapport au mois de juillet, sur une base nette. Nous prévoyons toujours une croissance en 2010, et une légère accélération en 2011, mais ça devait être plus lent dans l'ensemble et nous devions revenir plus tard à notre cible d'inflation, ce qui, en fin de compte, correspond à notre mandat.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, il faut savoir que le marché des devises a connu une instabilité exceptionnelle pendant la crise. Surtout immédiatement après la crise, lorsque les actifs ont été rapatriés aux États-Unis. Le dollar américain était fort à l'automne 2008 en raison du mouvement des actifs dans les marchés plus liquides, dont certains sont en dollars américains. Au moment où les choses se sont stabilisées, il y a eu des assouplissements, et ça a contribué à ce que nous avons vu plus tôt cette année. Des monnaies ont atteint différents niveaux reflétant diverses perspectives de croissance et d'inflation, au même titre que les facteurs dont je viens juste de parler pour le Canada.
Il n'est pas surprenant que d'autres monnaies aient fluctué autrement. Certaines se sont raffermies davantage que le dollar canadien au fil du temps et d'autres ont aussi évolué de la même manière.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Monsieur Jenkins, votre présence est toujours appréciée et très éducative. J'aimerais faire un suivi de la question du président du comité qui concerne les changements nécessaires. On sait que le Canada n'a pas autant souffert de la crise économique que d'autres pays.
Dans votre discours de la semaine dernière à Montréal, vous énonciez le fait que le Canada avait beaucoup à apprendre des faiblesses et l'expérience des autres pays depuis un an. Suite à votre discours, vous énoncez d'importants changements à faire. Les choses s'améliorent et progressent assez bien. Plusieurs dirigeants d'institutions financières le confirment et disent qu'il y a un souci de trop réglementer.
Ma crainte, c'est que l'attention et l'intérêt des parlementaires pour les changements proposés par le G20 disparaissent d'ici quelques mois dans un contexte où l'économie continue à bien fonctionner. Je crains aussi que le courage politique n'y soit plus.
Il se passe peut-être des choses que l'on ne voit pas, mais je ne vois pas grand-chose. Hier, aux États-Unis, le président Obama a déposé un projet de loi visant la restructuration de la Réserve fédérale. Est-ce qu'il se passe quelque chose qu'on ne connaîtrait pas? Partagez-vous le même souci voulant que notre appétit politique disparaisse et que l'on reste avec le même vieux système, sans avoir eu le courage de changer nos structures?
M. Carney : C'est une bonne question. Tout d'abord, j'aimerais préciser que le plan du G20 inclut des changements importants sur le plan des capitaux, des fonds propres des grandes institutions financières. Comme je l'ai mentionné à Montréal il y a quelques jours, les deux premiers changements ont pour effet d'élever les institutions financières étrangères au niveau canadien, c'est-à-dire qu'il y aura une augmentation des fonds propres minimale. Ce qu'il y aura de nouveau, c'est l'introduction d'un coussin de capital contre-cyclique.
[Traduction]
Si nous réussissons, ce sera un changement important. Il y a beaucoup de travail à faire, et nous travaillons en étroite collaboration avec le BSIF pour élaborer un amortisseur anticyclique, ce qui est important.
Les changements que j'ai mentionnés et qui seraient apportés à l'infrastructure des marchés seraient importants. La banque est d'avis qu'il faut chercher à les mettre en œuvre avec une réelle détermination. Nous n'en sommes qu'au début du processus. Ça signifie que nous devons travailler avec l'industrie, il va sans dire, mais aussi avec les organismes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières et le ministère des Finances fédéral pour les mettre à exécution. C'est ce que nous sommes en train de faire, et ces relations de travail sont en place. Cependant, il faut porter une attention particulière à ce processus pour veiller à ce que les changements soient apportés et ne soient pas laissés tombés — comme vous l'avez fait observer dans votre introduction — au fur et à mesure que les choses s'améliorent.
Je veux souligner le fait que nous devons chercher à officialiser notre coopération avec les divers organismes fédéraux et provinciaux en ce qui a trait aux questions macroprudentielles. À l'heure actuelle, la banque a mis sur pied un groupe informel réunissant les responsables des organismes financiers appropriés, et ça fonctionne bien. Nous parlons des questions que je viens tout juste de soulever, par exemple, mais ce n'est pas un mécanisme officiel. C'est la responsabilité du ministre des Finances. Il a contribué à amener les discussions au niveau du G20 pour encourager les autres à agir ainsi.
Je sais qu'il a une opinion sur la question et qu'il la partagera au moment opportun.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Dans votre rapport, vous dites que le dollar canadien élevé freine la croissance économique et annule les effets positifs qui ont eu cours depuis le mois de juillet. De façon spécifique, quel pourcentage du PIB représente un dollar canadien à 96 ou 95 cents? Comparativement à l'incitation fiscale du gouvernement, quel pourcentage du PIB cela représente-t-il?
Il y a des experts qui disent que malgré le fait que l'économie fonctionne mieux, lorsque l'effet incitatif du programme gouvernemental disparaîtra d'ici un an et demi, l'économie rechutera parce que nous sommes trop dépendants de l'incitation artificielle du gouvernement fédéral.
Pouvez-vous nous dire quel est le pourcentage de pertinence de ces chiffres? Êtes-vous d'accord avec le fait que l'on risque de retomber avec la disparition de l'effet incitatif du gouvernement?
M. Carney : Les assouplissements monétaires du gouvernement cesseront au deuxième trimestre de 2011. Il s'agit d'un aspect de nos projections. Dès le début de 2011, il est probable que les investissements augmentent. Présentement, il y a beaucoup de marge de manœuvre pour notre économie et la reprise sera unique comparativement aux autres.
Selon les dirigeants des banques, il y aura une hausse de la consommation, de plus grands assouplissements monétaires, moins d'investissements et moins d'exportations nettes. Dans l'ensemble, ce sera une reprise plus modeste, mais tout de même une reprise. Comme je l'ai mentionné, pour 2011 nous prévoyons une croissance de 3,3 p. 100 du PIB.
Le sénateur Massicotte : Avec un niveau de certitude assez élevé?
M. Carney : Le niveau de certitude diminue. C'est plus facile d'être certain lorsque nous faisons des prévisions à court terme. Le niveau d'incertitude diminue, mais demeure encore élevé et comme le président l'a mentionné, la situation est encore fragile.
Le sénateur Massicotte : Quel est le pourcentage des dépenses du programme spécial gouvernemental?
M. Carney : Les contributions gouvernementales à la croissance canadienne en 2010 sont de 1 p. 100.
Le sénateur Massicotte : Si le dollar est surévalué de 15 p. 100, quel impact cela a-t-il sur le PIB? Un pour cent, peut- être?
M. Carney : C'est difficile de répondre à cette hypothèse.
Le sénateur Massicotte : Généralement?
M. Jenkins : C'est une des raisons sur l'impact du dollar.
Le sénateur Massicotte : Cela se peut que l'impact du dollar contredise presque exactement l'impact de l'assouplissement fédéral. Le dollar canadien sera peut-être freiné par la croissance économique.
M. Carney : Votre question concerne au fond le taux de croissance en 2011 et c'est en effet le travail de la Banque du Canada d'atteindre la cible d'inflation en 2011. Alors si nous avons une situation où nous allons rater notre cible, nous changerons notre politique, nous fournirons plus d'assouplissements monétaires, c'est notre travail.
[Traduction]
Nous prendrons la politique budgétaire telle quelle. S'il y a un facteur — que ce soit la confiance, la croissance des États-Unis, les termes de l'échange, le niveau de la monnaie ou une combinaison de ces facteurs, y compris des changements apportés à la politique budgétaire — qui laisse présager que nous ne réussirons probablement pas à atteindre notre objectif d'inflation et que ces facteurs nous semblent persistants, nous ajusterons notre politique.
Le sénateur Massicotte : Si notre dollar monte, le facteur d'inflation descend. Est-ce exact?
M. Carney : Toutes choses étant égales par ailleurs, oui.
Le sénateur Massicotte : Si le dollar demeure élevé et que tout le reste demeure constant, alors l'objectif d'inflation descend et ne sera pas atteint.
M. Carney : Oui.
Le sénateur Massicotte : Cependant, vous ne pouvez probablement pas abaisser davantage vos taux d'intérêt. Que ferez-vous pour atteindre votre objectif si les sombres perspectives évoquées par certains analystes se concrétisent?
M. Carney : C'est exactement la raison pour laquelle nous avons présenté en avril le cadre de notre politique sur les taux d'intérêt peu élevés. Nous avons d'autres solutions, si nécessaire. Notre souplesse est considérable. Ces solutions comprennent notamment un assouplissement du crédit et une politique quantitative, ou une combinaison des deux, et, comme me le rappelle M. Jenkins, notre intervention conditionnelle.
Nous avons donné notre engagement conditionnel. Nous avons un horizon à cet égard. Nous pouvons l'ajuster. Nous pouvons mettre en œuvre une politique quantitative, un assouplissement du crédit ou une combinaison des deux si c'est nécessaire. Le message est clair : nous le ferons si nécessaire et seulement dans la mesure nécessaire. Nous sommes prêts à mettre en œuvre toute combinaison de mesures pour atteindre cet objectif.
Le sénateur Gerstein : S'il y a une chose qui ne contente jamais les Canadiens, outre leur équipe de hockey locale, c'est la valeur du dollar canadien. Il est difficile de croire qu'il y a près de dix ans, le dollar canadien flirtait avec les 62 cents américains, ce qui devait être un record. Bien des gens se sont plaints de l'avenir du huard. Aujourd'hui, certains Canadiens se tracassent concernant la force du dollar, qui a ses coûts et ses avantages. Les coûts sont tout ce qu'il y a de plus réel pour ceux qui exportent des produits manufacturés et des produits forestiers. Cependant, la force du dollar réduit les pressions.
La Banque du Canada a-t-elle effectué certaines estimations concernant les effets que la force du dollar aura sur les prix de détail au Canada? La hausse de notre dollar est, dans une certaine mesure, la réflexion de la baisse du dollar américain. J'ai dans l'idée que la faiblesse du dollar américain stimulera les ventes à l'extérieur des États-Unis. La banque s'attend-elle à ce que l'augmentation possible des transactions effectuées au Canada par les États-Unis — en raison de leur dollar — ait des répercussions?
M. Carney : Cet effet direct de la fluctuation des devises — que soit vers le haut ou vers le bas — sur le taux d'inflation est une répercussion des changements apportés aux taux de change sur l'inflation. Les répercussions directes touchent certains produits — comme les produits alimentaires et les importations directes de produits de base —, sont pratiquement à 100 p. 100 et sont plutôt rapides. Les répercussions directes sont importantes. Je soulignerais que les aliments de base font partie de nos principales mesures de calcul de l'IPC. On peut le voir directement. En ce qui concerne les prix de l'énergie, c'est moins exhaustif, mais c'est appréciable.
Sur un plus large éventail de biens et de services, le niveau de répercussions est plus faible. La détermination de ce qui est faible et du délai qui est associé suscite une grande controverse. En fait, l'un de nos collègues, John Murray, a prononcé un discours à ce sujet il y a environ 18 mois. Je serais heureux d'en faire circuler une copie pour le comité si ça l'intéresse. Ça varie approximativement entre 1 et 5 p. 100 sur trois ans en ce qui a trait aux répercussions finales sur l'ensemble du panier de biens. C'est important, mais il ne s'agit pas d'un taux de un pour un. Nous pouvons en comprendre les raisons. Par exemple, divers éléments du panier du consommateur sont produits localement — ce qui élimine la concurrence liée à l'importation — et c'est aussi le cas d'un certain nombre de services.
M. Jenkins : L'autre remarque que je voudrais ajouter à ce que dit M. Carney sur les répercussions de la variation du taux de change sur les prix concerne ce que nous appelons les répercussions directes sur le niveau des prix. Si le dollar devait subir une hausse ou une baisse, certains prix en dollars américains — comme les fruits et légumes — refléteraient rapidement cette fluctuation. L'autre aspect concerne les répercussions de la fluctuation du taux de change sur la demande globale, qui touche l'autre partie de votre question. Cela revient un peu à la question du sénateur Massicotte. Lorsque l'on analyse cela, il est important de se demander pourquoi le taux de change varie. S'il fluctue en raison de facteurs qui relèvent de l'économie canadienne, c'est une chose. Cependant, si le taux de change fluctue simplement en raison de la faiblesse généralisée du dollar américain, sans qu'il existe une quelconque compensation canadienne telle qu'une augmentation ou une réduction du cours des produits de base, alors les implications sont totalement différentes. Nous avons des modèles pour nous aider à composer avec ça. Lorsque le taux de change varie, nous sommes capables de penser aux implications que cela aura sur la demande américaine et, par conséquent, sur l'économie canadienne. Je ne veux pas sembler éviter la question, mais ces relations sont nombreuses et variées. Notre tâche est de tenir compte de tout cela.
Le sénateur Gerstein : La banque prévoit-elle des répercussions pour le Canada en raison de la reprise des activités aux États-Unis?
M. Carney : Votre question est très pertinente. L'une des tristes réalités de la récession aux États-Unis est que ça a été particulièrement difficile pour le Canada. Les secteurs les plus touchés ont été ceux les plus importants pour l'économie du Canada et des États-Unis. Évidemment, nous pensons tous au secteur immobilier et à celui de l'automobile. Ce ne sont là que deux exemples, mais il y en a beaucoup d'autres.
La bonne nouvelle est que les choses vont mieux depuis un certain temps. Il ne faut pas trop s'énerver, mais c'est assurément une nette amélioration; les secteurs qui se sont écroulés commencent à se stabiliser et à remonter. En ce qui concerne la croissance des États-Unis pour 2010, la banque prévoit une croissance de 1,8 p. 100. Il s'agit d'une reprise modeste, mais on repart de tellement loin. L'activité aux États-Unis sera plus forte que ça. Nous avons prévu un index des activités pour les États-Unis. Nous en avons fait connaître les détails dans le Rapport sur la politique monétaire de juillet. L'activité des États-Unis sera plus forte que le PIB, et une reprise de cette nature sera meilleure pour le Canada.
Les mises en chantier aux États-Unis ont atteint un niveau aussi bas que 500 000. Selon nos prévisions, le nombre de mises en chantier devrait remonter entre 750 000 et 800 000 en 2010, ce qui aurait une incidence importante ici. Souvenez-vous qu'avant la crise, la moyenne se situait autour de 1,6 million, ayant même atteint un pic de 2,1 millions.
Vous avez tout à fait raison de parler de l'activité aux États-Unis. C'est l'un des facteurs positifs que nous avons constaté. Même si nos prévisions n'ont pas changé beaucoup en ce qui concerne les secteurs d'activité des États-Unis ayant une incidence sur le Canada, la situation est légèrement plus encourageante pour nous. C'est un des nombreux facteurs positifs que nous avons constaté, en plus de la valeur du dollar qui, je crois, se situe autour de 96 cents. Il s'agit d'une simple hypothèse rétrograde, sans jugement de valeur, un simple constat de la situation.
Le sénateur Moore : Merci, messieurs, d'être ici aujourd'hui. Qui sont les vérificateurs de la Banque du Canada?
M. Carney : Il y a TPC et KPMG, à qui nous faisons appel en alternance. La rotation se fait tous les trois ans.
Le sénateur Moore : Donc, il y a toujours une certaine continuité.
M. Carney : Oui.
Le sénateur Moore : Quand je revois vos récents discours, je constate que vous parlez beaucoup de la Banque des règlements internationaux et du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. Je pense que les Canadiens ne connaissent rien de tout ça. Ça semble être la structure sur laquelle vous vous appuyez pour atteindre vos objectifs macroéconomiques, et, je l'espère, pour arriver à stabiliser le secteur financier. J'ai jeté un coup d'oeil au site web, où on peut lire que les droits de vote sont exercés en proportion du nombre des actions souscrites dans chaque pays représenté à l'assemblée. Êtes-vous un directeur de cette banque?
M. Carney : Oui.
Le sénateur Moore : Quels sont nos droits de vote, et combien d'actions détenons-nous? Est-ce comme ça que ça marche?
M. Carney : Je pourrai vous revenir avec le nombre exact d'actions, mais on parle d'environ 8 200. Je suis un directeur élu de la BRI et je siège à son comité de vérification. Ça rejoint un peu votre question, à savoir qui prend les décisions concernant la réglementation actuelle et future.
Le sénateur Moore : Combien d'actions sont émises au total?
M. Carney : De mémoire, je ne sais pas. Nous nous situons à mi-chemin, au neuvième ou dixième rang. Nous vous reviendrons avec le partage précis des actions. La BRI a été fondée dans les années 1930 pour contrer les effets de la guerre, et les principales banques actionnaires étaient alors la banque centrale de la Belgique, la Suisse, la Banque d'Angleterre et la réserve fédérale de New York.
Puis-je en arriver au coeur de votre question?
Le sénateur Moore : Oui. J'aimerais que vous nous disiez le rôle que vous jouez, votre participation et la collaboration que vous obtenez de vos collègues.
M. Carney : Je dirais que le fait d'être membre du comité d'administration de la BRI est extrêmement utile parce que les gouverneurs du G7, ainsi que les gouverneurs de la Suisse, de la Belgique, de la Suède et le dirigeant de la réserve fédérale de New York, se rencontrent toutes les six semaines à huis clos. Il s'agit d'un dialogue très ouvert sur l'état du monde et sur l'état du système financier. Pour avoir participé à plusieurs de ces discussions, et M. Jenkins pourra le confirmer, j'ai été témoin, au fil des années, de la collaboration extraordinaire dans les moments de stress. Durant la présente crise, ces relations ont été constamment mises à profit.
Pour ce qui est de la nature et des activités de la BRI en tant que telle, il s'agit d'une banque pour les banques centrales. Le programme de réglementation est en train de se mettre en place; je me permets de vous en parler parce que je crois que c'est important.
Le sénateur Moore : C'est de cette façon que vous comptez atteindre les normes internationales et stabiliser le marché?
M. Carney : Oui. Comme ses plus hauts dirigeants sont les chefs des pays du G20, ils se sont rencontrés plusieurs fois et ont émis des communiqués détaillés et donné des instructions claires à leurs ministres des finances, aux gouverneurs des banques centrales et aux responsables de la réglementation. L'organisation mandatée a fait rapport aux 20 ministres des finances du G20, et les gouverneurs des banques centrales ont fait appel au Conseil de stabilité financière, qui comprend les organismes de réglementation, les banques centrales et les ministères des finances.
Le sénateur Moore : Le Conseil de stabilité financière est-il une section de la BRI?
M. Carney : Non, il s'agit d'un organisme indépendant. Le mois dernier, à Pittsburgh, il s'est doté d'une charte distincte. C'est un organisme indépendant.
Le sénateur Moore : Et où va-t-il chercher ses renseignements? Fait-il ses recherches lui-même?
M. Carney : Certains des renseignements et du financement qu'il reçoit proviennent de la BRI, mais la majorité provient de comités de réglementation, auxquels j'arrivais. Ensuite il y a l'OICV, l'Organisation internationale des commissions de valeurs, et pour le capital de la banque, le Comité de Bâle, dont vous avez fait mention, qui est un comité d'établissement des normes pour le capital bancaire des organismes de réglementation et des banques centrales. Le BSIF fait partie du Comité de Bâle, et la Banque du Canada est aussi membre du Comité de Bâle, et nous avons chacun un représentant. Ce comité relève des gouverneurs des banques centrales et des organismes de réglementation. La surintendante des institutions financières, Julie Dickson, et moi-même, et tous les membres des pays du G20, font aussi partie de ce comité.
Nous avons reçu des instructions, à commencer par les hauts dirigeants du gouvernement, y compris le premier ministre du Canada, nous sommant d'instaurer un nouveau système budgétaire. J'ai déjà fait référence à certains aspects. Nous avons la ferme intention de suivre ces instructions. En bout de ligne, ce sont le Conseil sur la stabilité financière, les ministres et les gouverneurs du G20 et les chefs du G20 qui décideront si nous avons appliqué ces instructions selon les propositions qui seront présentées en 2010.
Ce que j'ai dit aux institutions financières de Montréal c'est : « Ne faites pas d'erreur; si les chefs se sont réunis et ont décidé ensemble d'appliquer ces changements, alors c'est ce qui va se passer. » Nous travaillons avec beaucoup de diligence et d'effort pour procéder à ces changements, qui sont des changements fondamentaux à notre système économique et à la structure des marchés.
Le sénateur Moore : Si nous nous reportons en mai, quand vous êtes venus ici, je vous ai questionné sur l'iniquité de l'aléa moral d'une mauvaise décision impliquant les deniers publics. Vous avez dit, à ce moment, que vous pouviez assurer tous les sénateurs que l'aléa moral était un terme beaucoup plus fréquent à la Banque du Canada que partout ailleurs au pays. Je vous ai également questionné sur l'importance de la reprise aux États-Unis et au Royaume-Uni, du moins de la stabilisation des systèmes, et de la façon dont ça pourrait améliorer la situation financière du Canada, et vous avez répondu que c'était absolument critique.
Je repensais à vos remarques de l'autre jour, quand vous disiez que nous nageons en plein aléa moral et que si rien n'est fait, la situation va fausser le comportement du secteur privé et gonfler les coûts du secteur public. Vous avez continué en disant :
La Banque du Canada a une nette préférence pour une réglementation qui se fonde sur des principes et sur la confiance dans le jugement des personnes plutôt que sur une foi aveugle dans la sécurité de la surcapitalisation. Or, une telle conception suppose une réceptivité de la part de l'industrie, réceptivité qui a manqué à l'appel au cours des derniers mois. Le soulagement menace de céder la place à un orgueil démesuré.
Quand je pense à l'orgueil, je pense aux 140 milliards de dollars prévus que se partageront 23 entreprises financières de Wall Street cette année. Vous adressiez-vous à un public international, ou plutôt au secteur financier canadien et à nos banques quand vous avez fait ces remarques? Parliez-vous en tant que membre du groupe pour la stabilité financière de la PRI avec ce message?
M. Carney : Merci pour ces questions. La dernière est la bonne réponse. Je parlais en tant que membre du G20, et j'essayais de faire voir à quel point nous prenons ces changements au sérieux quand vient le temps de parler du système financier mondial. Je disais à quel point je suis déçu du peu de sérieux avec lequel l'industrie considère certains de ces changements.
Pour ce qui est de l'aléa moral, la question est claire : plusieurs institutions ont été sauvées parce que certains ont jugé qu'il fallait les sauver durant la crise. Il n'est pas question de remettre en doute les décisions prises par d'autres. Pas au Canada. Cependant, tout va redevenir comme avant si on ne fait rien et si on ne modifie pas le système de manière à ce que les sociétés ne puissent pas déclarer faillite et ainsi que les actionnaires, les dirigeants et les détenteurs d'obligations assument les conséquences des mauvaises décisions.
Mes commentaires allaient dans le même sens que ceux formulés récemment par d'autres gouverneurs de banques centrales du G10 à cet égard.
Le sénateur Moore : J'aurais une dernière petite question.
Vous avez dit que la concurrence internationale a nettement diminué sous l'effet d'un ensemble de facteurs, soit la faillite d'institutions, une baisse de l'activité bancaire transfrontière et, surtout, l'effondrement de la majeure partie du système bancaire parallèle.
J'ai lu un peu là-dessus. Je ne prétends pas en savoir beaucoup. C'était effrayant, tant sur le plan international que sur le plan des finances.
Y avait-il des banques canadiennes d'impliquées dans ce système bancaire parallèle?
M. Carney : Non. Pour vous expliquer rapidement, les banques parallèles sont des institutions qui ne sont pas réglementées comme des banques à plusieurs endroits, mais qui mènent des activités semblables à celles des banques. Un exemple classique est ce que nous appelons les véhicules d'investissement structurés, ou les VIS. Il s'agit d'emprunter de l'argent sur le marché du papier commercial, et de prêter cet argent à long terme en faisant l'acquisition d'actifs durables, très opaques et difficiles à structurer. Ça s'est avéré être une excellente stratégie durant le boum, alors que personne ne se souciait des détails. Mais ça s'est avéré une stratégie horrible dès les premiers signes de stress.
L'autre volet important du système bancaire parallèle était le financement des véhicules de certaines grandes sociétés.
Le sénateur Moore : Ils ne figuraient pas dans les livres.
M. Carney : Effectivement, ils ne figuraient pas dans les livres. Ils étaient des entités financières déconsolidées. C'est une autre façon d'appeler ça.
Ces véhicules, et certains des marchés qu'ils soutenaient — des marchés de produits structurés et des marchés de titrisation — ont eu pour effet d'établir une certaine compétition. Leur retrait, et le retrait de certaines grandes banques transfrontières des activités de certains états, a fait baisser le niveau de compétition.
Le sénateur Moore : Vous voudriez que ces dérivés fassent partie d'une sorte d'échange, n'est-ce pas? Parlez-vous de compensation centrale?
M. Carney : Nous savons tous ce qu'est un échange. Une chambre de compensation n'a pas ses prix affichés, il s'agit simplement d'un mécanisme permettant de combiner ou de structurer les échanges. Elle est utilisée sur divers marchés. C'est une idée qui nous plaît, et nous étions ravis qu'elle plaise aussi aux dirigeants et que ceux-ci aient demandé qu'on l'examine sérieusement par la voie hiérarchique. Nous tenons à souligner que c'est important.
Le sénateur Moore : Vous vouliez le souligner à la communauté internationale, vous voulez dire?
M. Carney : Oui.
Le sénateur Oliver : Ma question porte sur le dernier point soulevé dans l'énoncé que vous avez préparé. Vous dites, et je cite, « Autrement dit, la banque examine tout à travers le prisme de l'atteinte de la cible d'inflation. »
À deux reprises aujourd'hui, vous avez dit que notre mandat était la cible de 2 p. 100. Je veux remettre en question ce mandat. La Banque du Canada dirige la politique monétaire en ajustant le taux cible du financement à un jour de manière à maintenir ce taux d'inflation.
La fixation d'une cible explicite en matière d'inflation est-elle le meilleur moyen de « favoriser la prospérité économique et financière du Canada », comme le prévoit la Loi sur la Banque du Canada? Voilà le libellé de la loi dont s'inspire votre mandat. Par ailleurs, cette démarche entraîne-t-elle des rigidités dans la détermination de la politique monétaire du Canada?
Si on ciblait le niveau des prix plutôt que le taux d'inflation, quelles seraient les répercussions sur la stabilité des prix? Quels sont les principaux risques à la hausse et à la baisse susceptibles de toucher les prévisions de la banque en matière d'inflation?
Si je soulève ces questions, c'est parce que le 8 octobre 2009, M. Jenkins a dit devant la Chambre de commerce de Vancouver que vous envisagiez certaines nouvelles cibles. Il a mentionné que la banque entendait se pencher sur deux questions, à savoir : quels sont les coûts et les avantages d'une cible d'inflation inférieure aux 2 p. 100 qui, d'après vous, figurent dans votre mandat, et quels sont les coûts et les avantages associés au fait de cibler le niveau des prix?
M. Carney : Merci de soulever cette question. Tout d'abord, je veux rappeler aux membres du comité que la banque et le gouvernement du Canada ont conclu une entente sur le contrôle de l'inflation qui précise certaines modalités — la stabilité des prix. Qu'est-ce que la stabilité des prix? Qu'est-ce que vise la banque? Quel objectif visons-nous?
Cette entente est en vigueur jusqu'à la fin de 2011 et, comme vous le savez, on y indique explicitement la cible d'inflation de 2 p. 100.
Toutefois, nous croyons qu'il est de notre responsabilité de répondre à votre question, à savoir, est-ce que c'est le meilleur cadre monétaire pour notre pays?
Le sénateur Oliver : Parce que cela fait partie de votre mandat.
M. Carney : Oui, parce que cela fait partie de notre mandat. De plus, nous voulons nous assurer que c'est vraiment notion position finale sur l'orientation à prendre.
De toute évidence, nous ne sommes pas les seuls responsables de cette décision, mais c'est notre travail de réfléchir à ce qui serait le mieux pour le pays. Nous avons mené un programme de recherche exhaustif auquel ont participé des spécialistes internes et externes ainsi que des représentants d'autres banques centrales. Nous en sommes exactement à mi-parcours au sujet des questions que vous avez soulevées. Dans un moment, je demanderai à M. Jenkins de vous en dire un peu plus sur le sujet.
Déterminer si la cible du niveau des prix est supérieure à la cible d'inflation est une question complexe, une question à laquelle il faut bien réfléchir, tant sur le plan théorique que pratique.
Je terminerai ma partie de réponse en ajoutant que nous avons l'intention de discuter, plus tard en 2010 et en 2011, de la cible du niveau des prix par rapport à la cible d'inflation. Nous serions heureux d'avoir l'occasion de discuter plus en détail devant ce comité des enjeux liés au niveau des prix ou à une cible d'inflation inférieure. Nous avons rendu publics les résultats de certains travaux de recherche, y compris notre plus récente étude de la Banque du Canada. D'autres résultats de recherches seront divulgués, et nous apprécierions la possibilité d'en discuter plus en détail devant ce Comité.
Comme vous avez fait référence à l'énoncé de M. Jenkins, je lui demande de vous fournir plus de renseignements sur le sujet.
Le sénateur Oliver : Est-il vraisemblable de dire que vous penchez vers des cibles d'inflation inférieures dès maintenant? Est-ce que c'est sur cet aspect que votre recherche porte...
M. Carney : Je dirais qu'il est trop tôt pour formuler des conclusions. La recherche sur une cible liée au niveau des prix mérite une étude plus approfondie.
Nous continuerons d'investir dans ces travaux de recherche, mais il est trop tôt pour pencher d'un côté ou de l'autre. Pour le moment, il serait irresponsable de notre part d'émettre une opinion sur le sujet.
M. Jenkins : Lorsqu'en novembre 2006, nous avons fait le point avec le gouvernement sur le renouvellement de notre cible d'inflation de 2 p. 100, la banque a fait connaître son programme de recherches visant à répondre à ces deux questions. En fait, la banque voulait que certaines choses soient déterminées tout de suite afin que nous puissions utiliser toute la période de cinq ans de l'entente pour examiner ces questions. Il s'agit de questions complexes qui exigent des recherches très fouillées.
Heureusement, nous avons pu convaincre des chercheurs des autres banques centrales de collaborer avec nous à ce sujet. Nous avons mis sur pied un site web wiki pour favoriser la discussion et le débat sur ces questions. Nos spécialistes de la recherche à la banque ont fait beaucoup de progrès mais, comme le gouverneur l'a signalé, il est certainement trop tôt pour tirer des conclusions.
L'autre question que vous avez posé se situe dans le contexte des risques au regard de nos prévisions. Tout à fait conforme à l'esprit de la cible du 2 p. 100 faisant partie de notre mandat, lorsque nous établissons nos prévisions, nous le faisons de façon à veiller à ce que les risques soient compensés par nos perspectives d'inflation. Dans les prévisions figurant dans notre Rapport sur la politique monétaire, nous faisons état des risques, tant à la hausse qu'à la baisse, et nous essayons de les éliminer. À mon avis, le Rapport sur la politique monétaire, présente ce que nous estimons être les prévisions les plus justes. Nous estimons que ces risques peuvent être compensés par notre capacité à revenir à notre cible de 2 p. 100 ce qui, dans ce cas, surviendrait au cours du troisième trimestre de 2011.
Le sénateur Oliver : Est-ce que le fait d'être en période de récession rend vos travaux de recherche plus ardus?
M. Carney : Non. En fait, il y a des avantages. J'étais sur le point de dire que nous sommes chanceux de vivre cette expérience, mais je n'irai pas jusque-là, alors si nous pouvions rayer cela du compte rendu. C'est trop tard maintenant. Je vois déjà une pancarte « Annonce publique ».
En fait, un certain nombre de choses survenues dans d'autres pays pendant cette crise sont liées à ces travaux de recherche. Un élément, petit, mais pas tout à fait hors de propos, est le lien entre les prix et la stabilité financière. C'est un aspect que nous avons étudié et qu'il faut intégrer à toute recommandation ou à tout point de vue concernant le mérite relatif du niveau des prix par rapport à une cible d'inflation par exemple. L'enjeu principal se situe au niveau de la définition la plus précise de la stabilité des prix, non pas théorique, mais d'un point de vue pratique. C'est très étroitement lié à la façon dont les Canadiens peuvent réagir, à la façon dont naissent les attentes et à la façon dont la banque communique. C'est un programme de recherche très important pour la banque. En fait, c'est notre priorité numéro un. J'apprécie que vous ayez posé cette question.
Le sénateur Massicotte : Vous parliez du niveau des prix et de l'inflation. De toute évidence, vous vous concentrez sur l'inflation, une démarche axée davantage sur le consommateur. Toutefois, au cours de la dernière semaine, vous avez fait certains commentaires, disant que le prix des logements était un peu trop élevé. Est-ce que cela ne constitue pas une indication que vous ciblez maintenant le prix des biens?
M. Carney : Oui.
Le sénateur Massicotte : Laissez-vous entendre que la Banque du Canada devrait dorénavant examiner le prix des biens et sa cible d'inflation, ou entendez-vous garder le cap sur les consommateurs?
M. Carney : Je suis content que vous posiez cette question. Permettez-moi de préciser un certain nombre de choses. Tout d'abord, ni moi ni aucun de mes collègues n'avons formulé de commentaires sur le niveau du prix des maisons au Canada. Peut-être y a-t-il eu une question sur le sujet, mais elle n'est nullement fondée sur des renseignements que nous aurions pu avoir à notre disposition.
Deuxièmement, en ce qui a trait aux maisons, le Canada bénéficie d'un avantage, c'est-à-dire que le coût des maisons ou du logement est tout à fait intégré au calcul des prix à la consommation. Dans l'ensemble, le logement représente légèrement plus de 22 p. 100. Les éléments plus directs qui peuvent être liés au logement se situent quant à eux autour de 16 p. 100. On parle ici de loyer, de coûts hypothécaires et ainsi de suite.
La hausse ou la dépréciation réelles du prix des maisons apparaît comme une valeur nette dans la plupart des indices. En fait, au Canada, le prix baisse d'année en année. C'est un élément qu'on oublie dans la discussion. L'avantage, c'est que le prix du logement figure directement dans les prix à la consommation, ce qui fait que nous devons en tenir compte dans l'établissement de la politique monétaire.
Nous avons effectué des travaux de recherche et poursuivons dans cette voie. Nous ne sommes pas tellement partisans d'utiliser la politique monétaire pour cibler tantôt les prix à la consommation, tantôt les prix d'autres biens. Nous pensons toujours que se concentrer sur ce qui importe aux Canadiens, notamment les prix à la consommation, ce qui fait d'ailleurs partie de notre mandat, est l'approche la plus efficace.
Sur la question globale de cibler les prix des biens, nous souhaitons changer la thématique, si on nous le permet, et parler d'établissement du crédit et de croissance du crédit. Est-ce que la croissance du crédit est trop rapide ou trop lente, contribue-t-elle à exacerber les cycles? C'est là où la plupart des éléments de ce programme macroprudentiel entrent en jeu et que les capitaux contracycliques exercent l'effet de contrepoids dont nous avons parlé à quelques reprises. Cela fait partie du but que l'on cherche à atteindre. Il ne s'agit pas de cibler un bien mais plutôt de se laisser porter par le vent de la croissance du crédit, que celle-ci soit positive ou négative, laquelle amplifie les cycles économiques.
[Français]
Le sénateur Dawson : À cet excellent comité, les bonnes questions ont souvent été posées. Le sénateur Greene posait la question de savoir quel est l'idéal d'un taux. Quel serait l'idéal pour un déficit? 50, 60 ou 70 milliards? Car la question du sénateur Massicotte, c'est peut-être qu'après un certain temps, l'on revienne à nos vieilles habitudes. On s'habitue à des choses et on change nos habitudes.
[Traduction]
« Lorsque le gouverneur parle, le peuple écoute ». Cette vieille expression vient E. F. Hutton. On avait l'habitude de s'en servir pour la publicité. En effet, « Lorsque E. F. Hutton parle, le peuple écoute ». Le problème, c'est que E. F. Hutton n'est plus là.
M. Carney, de toute évidence le peuple vous écoute lorsque vous parlez du dollar. Vous avez exercé une grande influence au cours de la dernière semaine, mais la population pourrait cesser de vous écouter parce que E. F. Hutton n'existe plus. Vous avez également eu une grande influence sur l'économie. J'espère que le peuple continue d'écouter parce que nous avons tendance à retomber vite dans nos habitudes, qu'il s'agisse du financement de la dette ou de banques qui abusent de leurs privilèges.
Combien de temps croyez-vous que le peuple continuera de vous écouter? Selon vous, à quel moment devrions-nous raisonnablement cesser de croire que nous pouvons continuer à financer cette relance à coup de déficits de l'ordre de 50, 60 ou 70 milliards de dollars?
M. Carney : J'espère que la population nous écoutera encore pour un autre cinq ans et quatre mois.
Il est important que la population se rappelle que nous nous concentrons simplement sur notre cible. Cette cible a été établie de façon démocratique, mais on nous a confié un mandat et nous demeurons concentrés sur la cible.
Deuxièmement, nous devons avoir un cadre stratégique clair pour atteindre la cible, y compris un nombre considérable d'options si nous devons injecter un fonds de relance monétaire additionnel dans l'économie en raison du choc externe provoqué par la crise et qui persiste, ce qui nous donne la possibilité d'atteindre notre cible d'inflation. Au cours des six derniers mois, les gens ont quelques fois minimisé un peu trop cette situation. Nous avons un cadre. Ce n'est pas une question de mots ou d'interventions astucieusement choisis. Nous avons un cadre et chaque jour nous étudions la façon de l'appliquer le plus efficacement pour atteindre la cible d'inflation. Nous y parviendrons parce que nous avons un mandat clair sur le sujet.
L'un des grands avantages de la cible d'inflation est qu'en bout de ligne, nos objectifs sont simples. En fait, ils sont très clairs. Nous serons donc en mesure de dire si nous les avons atteints ou non. Cependant, nous ne pourrons nous en sortir s'il y a des problèmes aux États-Unis ou ailleurs, ou s'il y a une forte croissance ailleurs. Grâce à un taux de change fluctuant, nous avons toujours les moyens d'atteindre notre cible inflation et nous devons en rendre compte à vous, de la Chambre des communes, et à la population canadienne.
Pour ce qui est du déficit, il est sans aucun doute important que dans chaque pays, y compris le Canada, il y ait une situation financière durable à moyen terme. C'est d'ailleurs nécessaire. Nous avons tous vécu les années 1990 et savons ce qu'il faut pour y parvenir. Ce comité connaît probablement mieux la situation démographique que la plupart des gens, et nous sommes conscients de la nécessité de mettre de l'ordre dans les finances publiques pour relever ces défis démographiques.
Au plus fort de cette crise, il a fallu injecter des fonds de relance considérables pour aider à lancer et à soutenir la reprise. D'ailleurs, non seulement le gouvernement du Canada, mais également la Banque du Canada et de nombreux observateurs externes comme le FMI et d'autres membres du G7, pensaient la même chose.
Je vous rappelle que d'après nos prévisions, l'an prochain, un bon tiers de notre croissance proviendra des dépenses de relance faites en 2010 par le gouvernement fédéral et les provinces.
Nous nous attendons à ce que les mesures de stimulation prennent fin en 2011. Ce sont des décisions qui reviennent aux gouvernements et nous composerons avec leurs décisions, mais tous ces morceaux se mettent en place. Le Canada devra reprendre une position financière qui est tenable. Je dirais que ça dépendra de l'évolution de l'économie, mais après 2011, il faudra prendre des décisions budgétaires difficiles, c'est certain.
Le sénateur Frum : Monsieur Carney, j'aimerais vous poser une question à propos de la demande comprimée de biens de consommation et de la dette. À la page 22 de votre dernier Rapport sur la politique monétaire, on peut lire que « La croissance robuste et continue de l'agrégat au sens étroit tient au désir des ménages et des entreprises de conserver des actifs liquides jusqu'à ce que la reprise économique soit clairement enclenchée ».
Dans ce contexte, il est intéressant de souligner que le crédit total aux ménages a augmenté chaque mois pendant la période de déclin, et que la banque préconise la prudence maintenant. Nous vous avons entendu dire à votre conférence de presse que les emprunts des consommateurs ne pourront pas toujours s'accroître à un rythme plus rapide que l'économie.
Ce qui m'amène à deux questions connexes. Premièrement, est-ce que les sommes assez considérables dont les Canadiens disposent dans leurs comptes de banque pourraient générer une reprise plus rapide que prévue s'il y a un regain de confiance?
Deuxièmement, pourriez-vous nous donner des détails sur la raison pour laquelle la banque se préoccupe de la croissance du crédit aux ménages? Est-ce que la hausse rapide de la dette des ménages pourrait jouer dans la décision d'accroître les taux d'intérêt, puisque ça réduirait les fonds à la disposition des consommateurs pour d'autres dépenses?
M. Carney : Je vous remercie pour ces questions.
D'abord, en ce qui concerne les liquidités dans l'économie — les agrégats monétaires, comme nous en parlons dans notre rapport —, il est à noter que la monnaie au sens restreint, en particulier, se situe aux plus hauts niveaux jamais vus, point. C'est un fait qui cadre avec ce que nous avons observé, c'est-à-dire que par précaution, il y a une énorme demande pour les actifs très liquides. Ce n'est pas surprenant pour les ménages, étant donné ce qui s'est produit avec les marchés d'autres types d'actifs, les expériences antérieures, et les incertitudes qui entourent le marché du travail et le contexte mondial.
Il est à noter également que l'une des difficultés regrettables associées à cette période est la difficulté, pour les petites et moyennes entreprises, d'obtenir du crédit. C'est souvent ce qui arrive dans une récession. Pour en revenir au système bancaire parallèle, il s'est probablement renforcé, en partie parce que certains des fournisseurs de crédit aux petites et moyennes entreprises étaient des sociétés financières qui ont quitté le marché canadien. La disponibilité du crédit a été restreinte. Les entreprises qui le peuvent conservent des niveaux très élevés de liquidités pour ne pas être prises de court, et ce n'est pas surprenant.
Nous nous attendons à ce que cela diminue graduellement. Nous surveillons la situation de près. L'information qu'on peut obtenir à partir des montants bruts des agrégats monétaires n'est pas parfaite. Nous surveillons ces données, tout comme d'autres, et nous les complétons avec les résultats d'enquêtes et d'analyses.
En ce qui concerne la dette des ménages, vous voulez savoir si nous pourrions orienter notre politique monétaire de manière à cibler la dette des ménages au lieu de chercher à atteindre notre cible d'inflation de l'IPC. La réponse est non. Nous devons garder la même orientation. Nous disposons d'un instrument, notre taux à un jour, et nous visons un objectif.
Mais nous surveillons de près ce qui se produit du côté du crédit des ménages. Nous faisons des analyses concernant l'amélioration de la position de différents groupes de ménages. Nous diffuserons une partie de nos résultats dans le rapport sur la stabilité financière en décembre.
Je tiens à souligner que les taux sont exceptionnellement bas à l'heure actuelle; pas seulement notre taux, mais plusieurs taux. Par exemple, les taux sur cinq ans et les taux variables des prêts hypothécaires sont bas. Mais sur la durée d'une hypothèque, avec le refinancement, ils se régulariseront. Les gens doivent être prudents et tenir compte des variations dans le cycle de taux pour s'assurer qu'ils empruntent judicieusement. Du point de vue des institutions financières, c'est aussi normal et prudent de tenir compte de ces facteurs.
Cela dit, le ratio de remboursement des ménages canadiens reste inférieur aux moyennes historiques. C'est une bonne idée d'en parler parce qu'il s'agit d'anticipation. Les gens anticipent une vulnérabilité potentielle au lieu de regarder derrière eux et de voir la vulnérabilité qui existe déjà. C'est une des façons de prévenir ce genre de situation.
Pour finir de répondre à la question, je dirais que si nous n'utilisons pas notre taux d'intérêt et que si la situation perdure et que nous continuons à nous concentrer sur l'indice des prix à la consommation, comme nous devons le faire et comme nous sommes chargés de le faire, il y a d'autres options. Le marché de l'habitation est considérablement réglementé et influencé par les politiques. Les institutions qui fournissent du crédit sont réglementées, l'assurance hypothèque est réglementée, et nous discutons ouvertement avec les autorités de réglementation.
Si c'était opportun — et je ne dis pas que c'est le cas à ce stade-ci — la première mesure à prendre consisterait à revoir les règles de prudence et les normes de conduite pour assurer la durabilité du financement à l'habitation au Canada. J'ai toutes les raisons de croire que les choses resteront les mêmes. D'un point de vue hypothétique, c'est comme ça qu'il faudrait aborder la situation.
Le président : Monsieur Carney, vous avez parlé du taux de financement à un jour. Accordez-vous de l'importance au fait que, d'après ce que j'ai compris, l'écart entre le taux préférentiel du secteur privé et le taux du financement à un jour soit passé de 1,75 à 2 p. 100? Est-ce qu'on peut en tirer une conclusion?
M. Carney : Je ne crois pas. Ce qui s'est passé dernièrement, c'est qu'au cours du mois qui vient de s'écouler, le taux hypothécaire fixe sur cinq ans d'un certain nombre d'institutions a augmenté, ce qui reflétait une hausse dans le rendement des obligations d'État sur cinq ans. C'était une hausse compréhensible.
À la page 21 du Rapport sur la politique monétaire, nous donnons les différents taux en date du 16 octobre. Il n'y a pas eu de changement dans le taux préférentiel. En fait, ce que nous avons constaté — si je reviens à ce que le sénateur Frum a dit —, en ce qui concerne le taux hypothécaire variable effectif, à 2,25 p. 100, ces taux hypothécaires sont en phase avec le taux préférentiel.
Le sénateur Harb : Je vous remercie pour cet exposé des plus intéressants.
J'aimerais revenir à la question du sénateur Oliver concernant l'inflation. La mesure que vous utilisez est légèrement différente. Vous utilisez l'indice des prix à la consommation, mais vous en excluez sept ou huit composantes volatiles ou impôts indirects. Pourquoi?
Par ailleurs, si vous deviez appliquer le même principe que pour l'indice des prix à la consommation qui est utilisé, quel serait le taux d'inflation? Serait-il plus ou moins élevé?
M. Carney : En fait, nous ciblons l'indice des prix à la consommation. Nous tenons compte également d'autres mesures de l'inflation qui sont de bons indicateurs de l'IPC et de l'inflation de base. On se trouve à exclure les huit composantes les plus volatiles. Nous ne choisissons pas ces composantes dans l'IPC. Notre mesure est un meilleur indicateur prévisionnel de l'IPC que l'IPC en soi pour le Canada. Il s'agit d'un rapport empirique établi.
On pourrait même prendre la situation actuelle, comme j'en ai parlé dans ma déclaration préliminaire. L'inflation mesurée par l'IPC est passée à moins 0,9 p. 100 au troisième trimestre, et d'après les dernières mesures, l'inflation de base se situe à environ 1,5 p. 100.
Comment la banque perçoit-elle l'inflation sous-jacente au Canada? Elle n'est pas de moins 0,9 p. 100. Elle cadre avec l'inflation de base. Si nous regardons les autres mesures, ce à quoi nous nous attendons — et ce que nous verrons ensemble —, c'est qu'à mesure que s'effacera l'effet important du prix élevé de l'essence et de l'énergie sur la base du glissement annuel, l'inflation mesurée par l'IPC global grimpera à 1 p. 100 au prochain trimestre. Puis, elle commencera à converger vers le taux de base. Et nous verrons ces deux chiffres grimper pour atteindre 2 p. 100 en 2011.
Il ne doit pas y avoir d'incertitude à propos de notre cible ultime. Nous visons une inflation de l'IPC de 2 p. 100. C'est en fonction de ça que nous devons être mesurés. Quelle est la meilleure façon de voir la situation et de comprendre les pressions inflationnistes sous-jacentes pour éviter que les huit composantes les plus volatiles entraînent trop de revirements? C'est pour cette raison que nous faisons ces ajustements. Sinon, la volatilité serait considérable.
M. Jenkins : D'un point de vue empirique, comme l'a indiqué le gouverneur, l'indice d'ensemble des prix à la consommation, qui représente notre cible, converge dans le temps vers cette mesure de base, au fur et à mesure que différents éléments compensent pour ces composantes instables ou encore que ces dernières cessent d'exercer une influence sur l'IPC d'ensemble. Si une énorme vague vient secouer les prix de l'énergie, à la hausse ou encore à la baisse, vous en ressentirez temporairement les effets. Toutefois, l'IPC d'ensemble finira par refaire son chemin jusqu'à la mesure de base. C'est pourquoi nous regardons les deux mesures. Comme l'a indiqué le gouverneur, l'IPC d'ensemble est le taux que nous visons.
Le sénateur Harb : Comment s'y prennent les autres pays du G8 ou du G20? Quelles sortes de mesures utilisent-ils? Ont-ils recours à des mesures semblables aux nôtres? Est-ce que tous adhèrent à une même norme?
M. Jenkins : Les banques centrales qui ciblent l'inflation auront toutes recours à un indice d'ensemble des prix à la consommation. Ce qui diffère d'un pays à l'autre, c'est le contenu du panier des biens et services. Dans le contexte canadien, nous estimons que l'IPC ou, si vous préférez, le panier, est très représentatif. Il englobe notamment les prix des maisons, une donnée qui s'est révélée fort utile pour nous du point de vue de la valeur monétaire. De même, la mesure de l'IPC au Canada est de très bonne qualité. Ces choses doivent être maintenues, étant donné que l'IPC est la mesure que nous visons à atteindre au bout du compte.
Le sénateur Harb : Mesurons-nous ou devrions-nous mesurer les taux d'inflation mondiaux comme nous mesurons la croissance économique mondiale?
M. Jenkins : Absolument. Quatre fois par année, nous élaborons un document sur les perspectives de l'économie mondiale. Nous devons connaître ce qui se passe en Chine, aux États-Unis et en Europe, étant donné que ces choses influent sur le prix des produits de base. Nous examinons autant la croissance réelle que l'inflation dans une optique mondiale. Nous suivons ces choses de près.
Le sénateur Harb : Monsieur le gouverneur, vous avez indiqué disposer de moyens pour stabiliser le marché et faire en sorte d'atteindre vos buts et objectifs. Pourriez-vous par exemple acheter des dollars américains afin de refouler les spéculateurs en partie responsables de l'augmentation du dollar? Est-ce quelque chose que vous devriez faire ou envisager?
M. Carney : Nous ne devrions utiliser que les outils qui sont à notre disposition, dont notamment les interventions en devises étrangères, que pour favoriser l'atteinte des objectifs fixés en matière d'inflation. C'est là l'objectif de toutes les mesures stratégiques que nous sommes susceptibles d'appliquer. L'éventail de nos outils englobe donc l'exemple que vous avez cité.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai regardé votre rapport et, à la page 20, vous commentez le graphique 17. Ma collègue a tantôt parlé du crédit au ménage et vous parlez du crédit aux entreprises qui continue de s'affaiblir, et à la page 25, vous dites que vous envisagez que les investissements dans les entreprises reprendront en 2010.
Je me pose la question, compte tenu de tous les problèmes que le secteur financier a expérimentés : est-ce le crédit aux entreprises qui est faible? Nous entendons régulièrement que des entreprises ont de la difficulté à financer leur marge de crédit, leur fonds de roulement, et cetera. Est-ce que vous discutez avec les banques à savoir pourquoi, alors que des gens ont des entreprises qui ont 20 ans d'expérience et qui ont toujours rempli leurs obligations, elles sont tellement frileuses d'avancer des fonds, autant pour les prêts à court terme qu'à long terme?
M. Carney : Oui, nous avons beaucoup de discussions avec nos banques et pas seulement les banques canadiennes, mais les banques étrangères qui sont ici et les autres fournisseurs de crédit au Canada.
L'expérience actuelle du crédit aux entreprises au Canada, c'est plus ou moins normal pour une session de cette ampleur, plus ou moins, c'est juste un peu plus faible, oui, probablement que c'est plus faible pour les PME. Pour les grandes entreprises au Canada, maintenant, depuis quelques mois, le recommencement ou la réouverture si je peux dire des marchés de capitaux, du marché des obligations corporatives a créé une situation plus normale, presque normale pour le crédit.
Je veux dire que maintenant, le dernier mois, c'est maintenant public, c'est après la publication de ce rapport, le crédit aux entreprises recommence à croître au Canada au mois de septembre. Et chaque aspect s'est amélioré en septembre.
Alors, la situation est difficile, mais une récession est difficile pour les entreprises.
Le sénateur Hervieux-Payette : Peut-on conclure qu'il n'y avait pas de problème de disponibilité de liquidités des banques pour prêter, mais qu'elles étaient plus frileuses après avoir essuyé des pertes, pas nécessairement dans le domaine bancaire, mais dans les autres filiales du domaine des valeurs mobilières. Depuis que l'on a changé la Loi sur les banques en 1995, on les a autorisées à faire l'acquisition de la plupart des firmes d'investissement du secteur des valeurs mobilières. Depuis ce changement à la loi, j'ai l'impression qu'elles sont plus intéressées à la progression financière du secteur des valeurs mobilières plutôt qu'au secteur strictement bancaire.
M. Carney : Oui, mais il y aura des changements aux règles du capital pour les banques, le montant du capital pour les activités de la bourse, les activités du marché de capitaux sera doublé en 2010. C'est une décision du comité des banques dont nous avons discuté.
Selon moi, selon nous, les banques sont d'opinion qu'il est plus intéressant de fournir du crédit aux ménages qu'aux entreprises. Maintenant, c'est évident et c'est un aspect de cette situation dont nous venons de discuter avec le sénateur Frum.
[Traduction]
Je dirais que cet équilibre changera un peu, pour les raisons dont j'ai parlé. La situation n'est pas inhabituelle, compte tenu de l'importance de la récession et de la pression exercée sur certains secteurs. La situation commence à changer. Cela étant dit, nous suivons ces questions de près, madame le sénateur. La disponibilité et le coût du crédit, compte tenu de tous ces autres facteurs, sont une des raisons pour lesquelles notre politique est ainsi faite. Il faut tenir compte de ces pressions.
[Français]
M. Jenkins : Un des éléments plus positifs en ce qui concerne les entreprises récemment, c'est la vigueur dans les marchés de capitaux où le coût d'emprunt est très bas et le niveau d'activité est plus robuste. Dans le passé, au sommet de la crise, les marchés de capitaux, grosso modo, étaient fermés pour plusieurs des entreprises.
Le sénateur Hervieux-Payette : Une dernière question qui ne touche pas les entreprises et le crédit; dans votre réorganisation du système, est-ce que vous allez regarder la façon d'encadrer les agences de notation, afin que des « subprimes » ne reçoivent pas éventuellement une notation de triple A, et qu'on puisse savoir, autant l'investisseur averti que le consommateur, que lorsqu'on parle de l'évaluation d'un crédit, on puisse avoir la vérité? Il n'y a pas d'encadrement à ce moment, ni pour Moody ni pour Standard & Poor ni les autres agences, je n'en connais pas. Avec les collègues des autres pays, ils agissent dans plusieurs pays, envisagez-vous de regarder comment l'on pourra faire foi à ces organismes, qui en fin de compte jouent un rôle très important dans le secteur financier et qui ont pratiquement servi de caution à plusieurs produits financiers qui étaient de très mauvaise qualité?
M. Carney : C'est une des raisons de la crise. Si l'on investit dans une obligation, n'importe quelle obligation, corporative ou « titrisée », on doit faire son analyse de crédit, c'est clair, on ne peut pas externaliser cet aspect.
Il y a de nouveaux principes, des standards pour les agences de notation maintenant. Ils exigent que les autorités réduisent l'utilisation automatique des notations, par exemple dans des règles de capital; il faut que presque partout, nous enlevions les liens entre les deux, entre les règles et les décisions des agences de notation. Les autorités publiques ont renforcé ces liens et ces positions centrales des agences de notation.
Le sénateur Hervieux-Payette : À ce sujet, j'aimerais ajouter une clarification. Au début de l'année, plusieurs banques ont fait des émissions d'obligations de différents titres qui n'étaient pas des actions cotées à la même cote que la banque. Six mois plus tard, les mêmes agences de notation, en disant que les banques s'étaient affaiblies à cause de la qualité des titres d'hypothèque qu'elles avaient, les titres de nos banques canadiennes ont été dévalués de deux coches. Je dis cela, parce que ce sont des citoyens canadiens qui ont des petites épargnes, qui étaient certainement intéressés à avoir 5,5 p. 100 ou 6 p. 100 de rendement sur leur capital, qui, s'ils ont besoin d'aller rechercher leur argent, ne le retrouveront pas parce qu'il n'y aura pas 100 dollars pour 100 dollars d'investis. Il y aura toujours le 5,5 p. 100 d'intérêt. J'ai essayé d'avoir la réponse à cette question. Comment, en cours de route, je ne vous ai pas entendu dire que nos banques étaient en difficulté et six mois plus tard, les mêmes titres financiers, par les mêmes agences ont vu leur cote diminuer, donc leur valeur a diminué et des pertes considérables ont eu lieu pour des gens qui ont de petites épargnes.
[Traduction]
M. Carney : Nous ne sommes au courant d'aucune difficulté matérielle du côté de nos institutions financières. Bien entendu, la vie continue et elles auront à prendre des décisions dans l'avenir. Le surintendant des institutions financières continuera de surveiller leurs activités. Comme gouverneur, comme membre du Comité de surveillance des institutions financières, je participerai à ces discussions, aux côtés du ministère fédéral des Finances, du président de la CDIC et du chef de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada. Toutefois, je ne voudrais pas que ma réponse à votre question puisse être mal interprétée.
Cela étant dit, les personnes qui achètent des titres, qu'il s'agisse d'actions ou d'obligations, prennent un risque. Qu'ils ne se leurrent pas : ils prennent un risque. Voilà comment fonctionne le marché financier. Les seuls titres sans risque garantis en dollars canadiens sont ceux du gouvernement du Canada ou garantis par le gouvernement du Canada. La grande majorité des Canadiens ont la maturité et les connaissances nécessaires pour reconnaître que les investissements dans les marchés financiers sont assortis de risques, et qu'il s'agit là du fondement de notre système.
J'aimerais revenir sur le point que j'ai soulevé au début de cette discussion concernant le fait que les investisseurs institutionnels et professionnels doivent être capables de juger le crédit en autonomie. Ils doivent faire leurs devoirs. Ce sera un peu plus long et difficile, mais au bout du compte, il y aura des résultats. Globalement, je crois qu'il s'agit d'un environnement meilleur pour les milieux financiers canadiens que le précédent, où on sous-traitait les décisions en matière de crédit. À notre avis, cette situation pourrait s'expliquer par le fait que l'industrie financière canadienne tire plutôt bien son épingle du jeu en ce qui concerne l'évaluation du crédit et la gestion du risque, ce qui pourrait constituer un avantage pour nous plus tard.
Le sénateur Merchant : Monsieur Carney, ma question concerne les approches de la Suisse et de la Chine, pour ne donner que deux exemples, concernant l'échange de devises.
Depuis 1998, le Canada laisse aux marchés le soin de décider où s'échange notre devise. Votre taux de financement à un jour, qui se situe près de zéro, ainsi que l'ampleur du pompage des réserves vers le système bancaire, ont été sans précédent. Les outils dont on se sert habituellement pour pousser les devises ne vous sont pas disponibles. On craint que la base industrielle ne se vide lorsque les ressources feront hausser la valeur de notre dollar.
Certains pays ont choisi une position intermédiaire entre un taux de change fixe, qui s'attacherait au dollar américain, et un taux qui est régi par le marché, comme le nôtre. La Chine a souvent exercé un contrôle sur sa devise en menaçant de faire des interventions. Les spéculateurs, sachant que le gouvernement pourrait intervenir dans le marché, finissent par reculer.
Même un paradis du libre marché comme la Suisse est intervenu avec succès cette année pour freiner la montée du franc contre l'euro.
Est-ce que cette absence d'intervention, qui dure depuis 1998, est fondée sur une politique du gouvernement qui vous empêche d'agir sur notre dollar en entrant sur le marché? Outre la Chine et la Suisse, y a-t-il d'autres pays dont vous admirez la politique monétaire et qui font des interventions, bien que rarement? Où se situe le problème avec un taux flottant et des interventions rares, faites dans des circonstances extraordinaires?
Par exemple, aujourd'hui, on spécule sur la hausse des prix médians des ressources. Nous vivons le pire des deux mondes, puisque les ressources ne nous permettent pas de générer des revenus importants tandis que les spéculateurs font monter notre dollar, ce qui cause des dommages à notre secteur industriel.
M. Carney : La Banque du Canada et le gouvernement du Canada ont une politique concernant les interventions sur les devises étrangères. On la trouve facilement sur notre site web. On peut envisager et réaliser des interventions lorsqu'on a un problème du côté des marchés des changes. Par exemple, s'il y a un écart, si le marché s'amincit, s'il fonctionne mal; ou si les mouvements de devise, à la hausse ou à la baisse, sont tels qu'ils remettent en question l'avenir et la croissance de l'économie du pays.
Il est faux de dire qu'il n'y a pas de politique. Il y en a une, mais cette politique est jumelée à l'objectif de la Banque du Canada, qui est d'obtenir un taux d'inflation de 2 p. 100. On doit la prendre dans ce contexte. Les problèmes du marché ne constituent qu'un élément du contexte. Le deuxième élément concerne l'atteinte de la cible d'inflation. Dans ce contexte, des taux de change flottants jouent un rôle important dans l'atteinte de notre cible.
Je suis en profond désaccord avec vous relativement au portrait que vous avez brossé de la politique monétaire chinoise. Cette politique est totalement différente de la politique monétaire canadienne. En Chine, le marché des capitaux est fermé. La Chine n'intervient pas verbalement; elle intervient constamment dans les faits. Ainsi, le pays s'est bâti une réserve de devises étrangères d'une valeur de deux billions de dollars. On court des risques énormes avec cette politique, qui cause quelques-uns des déséquilibres dans le marché mondial. Cette politique contribue à certaines vulnérabilités qui ont existé, qui se sont concrétisées et qui se poursuivent. Il est prioritaire pour tous les décideurs de collaborer avec la Chine et d'élaborer un ensemble de politiques pour les principales économies, y compris l'économie chinoise, qui visent à s'éloigner de cette politique.
En ce qui concerne la Banque nationale suisse, si vous me permettez de prendre quelques raccourcis, celle-ci se trouvait dans une position où les taux d'intérêt étaient presque nuls, comme au Canada. À leur avis, considérant les perspectives d'inflation en Suisse, la baisse de l'inflation, voire la déflation, risquait de leur faire rater leur cible. Vu la petite taille de leur marché obligataire gouvernemental et commercial, ils ont décidé d'entreprendre une politique d'assouplissement à l'aide d'interventions dans les devises étrangères, ce qui permettrait d'améliorer les conditions financières. Je vous suggère de consulter l'intervention du gouverneur de la Banque nationale suisse, M. Roth, lors de la réunion d'avril dernier du FMI, pour obtenir une description de cette politique. Ce document est diffusé publiquement. Ces situations sont différentes de la nôtre.
Au risque de me répéter, notre mandat est clair. Nous avons des options. Nous en avons un ensemble. Nous utiliserons ces options selon les besoins pour réaliser notre mandat. Il ne faut pas sous-estimer cet élément. Nous utiliserons ces options selon les besoins et nous réaliserons notre mandat.
Le sénateur Ringuette : Pour commencer, j'aimerais revenir sur une question posée par le sénateur Moore. Il voulait savoir qui était chargé de vos vérifications. Vous avez répondu que vous alterniez entre KPMG et Price Waterhouse.
M. Carney : Pour être clair, ces deux sociétés font nos vérifications en même temps. Leur travail est réparti. Je ne veux pas froisser l'une des deux en lui disant que son mandat arrive à échéance, mais ça sera le cas l'an prochain alors qu'on devra remplacer une des deux sociétés par une autre, qui travaillera avec la société qui restera, pendant trois ans. Nous utilisons deux sociétés à la fois, sélectionnées dans un vaste bassin. Le ministre des Finances doit nommer les vérificateurs.
Le sénateur Ringuette : Pourquoi n'êtes-vous pas vérifiés par la vérificatrice générale?
M. Jenkins : La Loi sur la Banque du Canada a établi la structure administrative de la banque de manière à ce qu'elle soit indépendante du reste du gouvernement. Notre conseil d'administration surveille les activités dont la banque est responsable. Pour cette raison, nous faisons appel à deux vérificateurs externes.
Le sénateur Ringuette : Je ne savais pas que la vérificatrice générale ne pouvait pas faire de vérification à la Banque du Canada. Est-ce que vous connaissez une structure similaire au sein du gouvernement, une institution qui jouit de la même indépendance par rapport au gouvernement?
M. Jenkins : Cette situation ne s'applique qu'à la Banque du Canada.
Le sénateur Ringuette : Monsieur Carney, diriez-vous que le taux de liquidités actuel de nos banques canadiennes est normal?
M. Carney : Les niveaux de liquidités des banques canadiennes ont considérablement augmenté au cours des 18 derniers mois. Si on les compare à l'ancienne norme, les institutions financières canadiennes disposent d'un haut niveau de liquidités. J'ajouterais qu'un des enjeux examinés par le comité de Bâle, dont on a parlé, est l'application de normes mondiales en matière de liquidités. Les banques devront respecter ces normes qui seront surveillées par le Surintendant des institutions financières.
Le sénateur Ringuette : Si, actuellement, le niveau de liquidités des banques canadiennes est bel et bien élevé, pourquoi le ministre des Finances prolonge-t-il l'achat des hypothèques et des obligations garanties?
M. Carney : Ils ne sont pas totalement sans liens. Le Programme d'achat de prêts hypothécaires assurés dont vous parlez, le PAPHA, est un mécanisme qui fournit des liquidités.
Le sénateur Ringuette : C'était justement ma question. Si les liquidités actuelles des banques canadiennes sont si importantes, comment peut-on justifier la décision du ministre des Finances de prolonger la période d'achat? On parle d'un peu plus de 60 milliards.
M. Carney : On doit juger ces mécanismes par rapport à la bonne période. En premier lieu, on a un jugement global en termes de liquidités sous-jacentes des marchés. Ensuite, on a un jugement relativement au moment opportun pour gérer ces mécanismes, les rendre à échéance et les écouler. Le ministre juge, comme nous, que puisqu'il y a des traces résiduelles dans les marchés, une diminution de ces programmes à l'étape actuelle serait sensée.
Le sénateur Ringuette : On a également compris qu'au cours du dernier mois, on a assisté à une hausse de 14 p. 100 du nombre de ménages en faillite. Ce nombre inclut les hypothèques que les contribuables canadiens rachètent de ces banques qui ont déjà beaucoup de liquidités. J'ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi on prolonge cette politique relative aux liquidités.
M. Carney : Si vous permettez, c'est bien entendu la politique du gouvernement du Canada, mais je crois qu'il est important de souligner que le contribuable canadien a déjà assuré ces hypothèques.
Le sénateur Ringuette : À 80 p. 100.
M. Carney : Les hypothèques qui sont rachetées exposent déjà le contribuable canadien parce qu'elles avaient été assurées. Le gouvernement fournit des liquidités à un taux plus bas. Il en prend une partie à l'aide de ce mécanisme, et cette partie rapporte des gains nets aux contribuables canadiens et permet à ces institutions d'avoir accès à des liquidités.
Comprenons-nous bien. Le contribuable canadien n'assume aucun risque additionnel en raison des achats faits avec le PAPHA. En fait, il fait des gains. Le gouvernement profite du dysfonctionnement du marché.
Le sénateur Ringuette : Ce portefeuille de liquidités et d'achat de prêts inclut la location d'automobiles, n'est-ce pas?
M. Carney : Pas dans le cadre du PAPHA. Il n'y a que des hypothèques.
Le sénateur Ringuette : Dans quel programme se trouverait l'achat de baux?
M. Carney : Le gouvernement a un programme géré par la Banque de développement du Canada, la BDC.
M. Jenkins : C'est un mécanisme complémentaire de crédit pour les Canadiens, géré par la BDC. Vous avez raison, on a affecté 12 milliards de dollars à ce programme. À mon avis, l'argent n'a toujours pas été utilisé.
Le sénateur Ringuette : Au tableau 17 de la page 21, on peut voir que la croissance du crédit aux ménages est toujours forte. Vous disiez qu'il était plus intéressant pour les banques d'offrir des prêts aux ménages.
M. Carney : Oui.
Le sénateur Ringuette : Pourquoi?
M. Carney : Dans ce cas-ci, c'est une simple question de préférence révélée en ce qui concerne l'octroi de prêts. Il incombe aux institutions de décider si elles prêtent leurs capitaux aux entreprises ou aux ménages. Toutes proportions gardées, c'est aux ménages qu'elles prêtent, ce qui indique bien qu'elles ont jugé plus intéressant de leur prêter leur argent.
Il y a un élément important que je suis en train de laisser de côté. C'est aussi une question de demande. Les ménages demandent du crédit. Du côté des entreprises, et nous avons constaté la même chose dans nos enquêtes, la demande a diminué, elle est en fait plutôt faible. Les entreprises demandent que leurs prêts actuels soient reconduits, mais la demande pour de nouveaux prêts commerciaux est faible. C'est ce que disaient nos prévisions concernant les investissements commerciaux et nos perspectives en matière d'inventaires commerciaux équilibrés, ce qui signifie une demande pour le crédit à court terme.
Je ne dis pas qu'aucune entreprise ne craint de devoir refinancer des dettes existantes, mais un des aspects très importants de la situation actuelle de notre économie, c'est qu'il y a énormément de latitude. Nous avons eu une grave récession. Il reste beaucoup de capacité. Les entreprises ne risquent pas d'accélérer leurs investissements à court terme. Ces événements ont eu des incidences sur la demande de crédit commercial.
D'un autre côté, du côté des ménages, la confiance revient. Il y a une demande accumulée pour l'achat de biens durables. Les prix sont abordables. Des programmes gouvernementaux visent à faciliter les investissements des ménages et nous en voyons les effets.
Le sénateur Ringuette : Si vous regardez le graphique 2 à la page 20, le dernier élément en octobre 2009, le taux hypothécaire pour cinq ans est de 5,84 p. 100. Le taux des obligations commerciales à long terme est de 4,17 p. 100. On parle d'une différence de plus de 1,5 point de pourcentage.
M. Carney : Oui.
Le sénateur Ringuette : Je fais partie de ceux qui croient que les banques canadiennes sont extrêmement adroites. Si, en prêtant le même dollar, on peut obtenir 1,5 p. 100 de plus, c'est là que je vais le prêter. Si on peut avoir 24 p. 100 sur une carte de crédit, c'est encore mieux!
Vous dites que le niveau de liquidités de nos banques est élevé. Certains sénateurs ont posé des questions relativement aux efforts des gens d'affaires pour obtenir des prêts bancaires. Pendant que le gouvernement donnait des milliards à la BDC pour aider les PME canadiennes, les banques canadiennes préféraient offrir des prêts aux ménages canadiens à des taux d'intérêt plus élevés que ceux qu'elles auraient offerts au milieu des affaires. Voilà le problème. Il y a iniquité, ici.
Le gouvernement du Canada a dû intervenir pour faire le travail de nos banques canadiennes, à qui nous avons donné des liquidités — c'est ce que vous avez dit —, et qui auraient dû fournir aux entreprises canadiennes le crédit nécessaire pour fonctionner et remettre le pays sur les rails de la croissance.
Cela fait beaucoup de déclarations, mais ma question est la suivante : selon les termes de votre mandat, que pouvez- vous faire à ce sujet?
M. Carney : Laissez-nous vous expliquer la situation selon notre point de vue. Les conditions financières au Canada sont meilleures que celles d'à peu près tous les autres pays, du moins des pays importants. Par exemple, aux États-Unis, l'accès au crédit pour les ménages a chuté d'environ 5 p. 100, tandis que comme vous l'avez souligné, il a augmenté au Canada. Le crédit aux entreprises est en baisse dans la plupart des principales économies. Il a repris du poil de la bête en septembre, mais disons qu'il est stable au Canada.
À partir de nos discussions et de nos analyses, et en nous fondant sur ce qui s'est produit lors des récessions précédentes, nous savons c'est une question de demande plutôt que d'offre. Le lien dont vous avez parlé se trouve entre les taux d'intérêt commerciaux à long terme et les taux hypothécaires des ménages. Il faut se rappeler que dans ce cas, les taux d'intérêt commerciaux à long terme s'appliquent aux entreprises cotées AA au Canada, ce qui signifie les entreprises les plus fortes au pays. Et on compare ce taux à celui d'hypothèques individuelles contractées par des ménages. Même si on dit qu'il n'y a rien de plus sûr qu'une maison, les hypothèques comportent des risques. Il arrive que les gens ne soient pas capables de faire leurs paiements.
Le sénateur Ringuette : Le risque est faible quand le gouvernement du Canada garantit également les hypothèques.
M. Carney : Il ne garantit pas toutes les hypothèques. De plus, ces garanties coûtent de l'argent et font partie des coûts additionnels dont on doit tenir compte.
Le rôle de la Banque du Canada, ainsi que la raison pour laquelle nous publions ces données et d'autres données concernant les conditions du crédit sur notre site web, est de prendre en considération tous ces éléments liés aux conditions financières du Canada et d'étudier les effets sur les activités, et, par conséquent, l'inflation, pour ensuite ajuster les politiques en conséquence.
En raison de la crise, les conditions se sont gravement détériorées et nous avons dû ajuster notre politique pendant ces moments difficiles. Nous avions prévu que globalement, les conditions financières s'amélioreraient. C'est arrivé. Nous sommes sur la voie que nous avions prévue pour le développement des marchés.
Je ne crois pas que le crédit ne soit pas disponible au Canada. Il y a des problèmes. Ces problèmes sont toutefois bien moindres qu'ailleurs.
En dernier lieu, je dirais qu'il y a une différence entre les liquidités, qui sont utilisées par précaution pour gérer une institution financière, et la disponibilité des capitaux pour les prêts. On peut prêter de l'argent si on a du capital, pas si on a des liquidités, et le gouvernement du Canada n'a pas fourni de capital à nos institutions financières. C'est un cas presque unique dans le monde développé.
M. Jenkins : Dans ce tableau, vous pouvez aussi constater que le taux hypothécaire variable réel est de 2,25 p. 100, ce qui est le taux le plus bas depuis la guerre. Ce taux est le même que le taux commercial préférentiel. En effet, la majorité des hypothèques sont négociées à ce taux.
Le président : Merci beaucoup, messieurs Carney et Jenkins. Nous avons eu une excellente discussion. Nous sommes heureux de votre participation aujourd'hui et du fait que vous ayez exprimé le souhait de revenir. Peut-être que ça s'explique par le fait que nous essayons réellement de nous en tenir à notre programme et de vous laisser partir au moment prévu. Nous espérons que vous participez également pour les questions que nous vous posons et pour le climat de collaboration; nous cherchons réellement des réponses et désirons connaître votre point de vue en ce qui concerne vos responsabilités. À mon avis, nous avons réussi aujourd'hui, en grande partie grâce à votre franchise, à votre ouverture et à votre volonté de dialoguer avec nous.
Les membres du comité vous remercient. Nous espérons que vous reviendrez, peut-être ce printemps lorsque la reprise sera moins fragile.
M. Carney : Merci beaucoup.
(La séance est levée.)